Remaniement de la surveillance : Livre blanc de l’Ombudsman

Un mandat compromis

Le Bureau n’a pas encore rempli entièrement le mandat qu’on lui a confié. Cela s’explique en grande partie par la peur exagérée qu’ont les Forces canadiennes de voir leur autonomie militaire menacée par un organisme externe. Le mandat initial a été révisé en 2001, et cela a amélioré notre capacité d’aider. Mais malgré nos efforts persistants et répétés en vue de mettre en œuvre un programme complet, il y a encore des gens qui souhaitent recourir à un Ombudsman, mais qui ne peuvent pas le faire à cause des limites qu’on impose à la compétence du Bureau, plus particulièrement ceux qui ont des plaintes concernant Anciens combattants Canada et la police militaire, ainsi que de nombreux membres des FC qui sont forcés de suivre le processus de griefs.
 

Malheureusement, les hauts dirigeants sont très peu enclins à trouver des solutions à des problèmes de compétence d’ordre technique qui ont trait à notre mandat. Le Juge-avocat général (JAG), principal conseiller juridique de la chaîne de commandement, nous a montré le fond de sa pensée lorsqu’il nous a carrément déclaré, quelques mois après ma nomination en 1998, que « le terrain était occupé » et qu’il n’y avait pas de place pour le genre de surveillance indépendante que nous voulions assurer. Les sept dernières années ont montré que, en fait, non seulement le champ n’était pas occupé, mais qu’il s’est révélé fertile et prêt à accueillir un bureau qui répondrait vraiment aux besoins des militaires. Malheureusement, la haute direction n’a, trop souvent, pas pu s’affranchir de l’opinion du JAG ni nous aider à préparer le terrain et à nous fournir les outils dont nous avions besoin pour remplir notre mission.
 

À bien des égards, et malgré nos réussites, le Bureau de l’Ombudsman est toujours un travail en cours. Nous manquons d’outils de collecte d’informations. Mais, ce qui est le plus important, c’est que le Bureau de l’Ombudsman n’est pas créé en vertu d’une loi. Il provient d’ordonnances enchâssées dans des documents administratifs internes et de directives ministérielles. Le Bureau peut disparaître d’un seul coup de crayon d’un ministre ou être handicapé par l’annulation d’une directive. Même si nous avons bénéficié de l’indépendance que nous avons exigée, elle est le produit d’une bonne volonté ou de la réalité politique et, par conséquent, n’est pas acquise. Si un Bureau de l’Ombudsman ainsi restreint avait été créé pour une bonne raison, ce serait tolérable. Malheureusement, notre mandat limité et notre vulnérabilité sont issus de luttes intestines, de la léthargie de la bureaucratie et d’une résistance insoutenable à la surveillance civile.
 

Je vais traiter de ce problème plus en détail dans les pages qui suivent. Cependant, pour l’instant, j’ai quelque chose d’une importance capitale à mentionner. Témoin des travaux que le Bureau a accomplis en quelques années d’existence, je suis plus que jamais convaincu que le modèle de l’Ombudsman est capable d’améliorer non seulement la vie de ceux qui servent le MDN et les FC, mais également l’institution elle-même, notamment sa crédibilité et son statut. Même si son mandat est compromis, le Bureau de l’Ombudsman du MDN et des FC a déjà montré la valeur de la surveillance civile. Toute analyse de l’avenir de ce Bureau en particulier, et du sort de la surveillance civile de l’armée en général, doit partir de ce constat.
 

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Faire la preuve de sa valeur

Au cours des sept dernières années, nous avons été témoins d’une foule d’histoires de réussite qui ont touché la vie de bien des gens. Il n’est pas vraiment nécessaire de décrire ces histoires en détail. Elles sont illustrées dans les capsules présentées dans les rapports annuels que le Bureau de l’Ombudsman a publiés depuis sa création. Un survol des sept dernières années suffit pour nous convaincre. Ce survol nous apprend qu’on a fait appel à l’Ombudsman pour obtenir des soins médicaux et des services de counselling pour les militaires. Il nous apprend qu’on s’est tourné vers l’Ombudsman pour obtenir des congés pour événements familiaux malheureux pour les militaires, ainsi que des pensions, des avantages sociaux, des indemnités de déménagement et des paiements à titre gracieux pour les personnes qui sont prises dans le dédale de la bureaucratie ou dont la demande est compromise par un retard ou un refus. Un survol nous fait comprendre qu’on a fait appel à l’Ombudsman pour réinstaller des militaires de sorte qu’ils soient plus près de leur famille, de parents souffrants ou d’installations médicales dont ont besoin des membres de leur famille. Il nous apprend que l’Ombudsman a complété le processus de grief en contribuant à réduire le délai d’exécution et en faisant office de canal d’information. Et ainsi de suite, cas après cas. Littéralement, des milliers de militaires ont obtenu réparation en faisant appel aux services du Bureau de l’Ombudsman pour régler des problèmes qui, sans son intervention, n’auraient pas été réglés ou ne l’auraient pas été aussi rapidement. Au cours des sept dernières années, en réglant les plaintes de militaires, le Bureau a contribué indiscutablement à la qualité de vie des membres des FC et de leur famille, réalisant les espoirs du juge en chef Dickson en ce qui a trait à un tel bureau.
 

Le Bureau s’occupe surtout de régler les problèmes personnels des militaires. Cependant, il s’est également attaqué à des enjeux systémiques dans le cadre d’enquêtes de grande envergure. Grâce à des centaines de recommandations émanant de dizaines d'enquêtes, il a pu régler des problèmes de longue date et contribuer à améliorer la vie militaire. L’Ombudsman a aidé à amener les Forces canadiennes à adopter une approche plus humaine et plus efficace à l’égard des traumatismes liés au stress opérationnel, notamment le syndrome de stress post-traumatique. Il a servi de catalyseur pour améliorer les commissions d’enquête et le processus d’enquête sur les décès et les accidents survenus au cours de l’entraînement. L’Ombudsman a pris des mesures pour améliorer le traitement réservé à la famille de soldats tués en service. Il a réglé des problèmes d’exposition environnementale. Il a obtenu des excuses pour aider à fermer le dossier de griefs qui traînaient depuis longtemps, comme les expériences de Suffield, au cours desquelles des soldats ont été exposés intentionnellement à des agents de guerre chimique comme le gaz moutarde, la malheureuse affaire Poulin14, ou la tragique affaire Wheeler-Lapeyre, qui aurait pu être évitée15. Il a participé à éliminer des décennies d’obstacles bureaucratiques, obtenant ainsi une indemnisation pour les victimes de Suffield et le remboursement des retenues imposées aux stagiaires du cours sur le Système militaire automatisatisé de circulation aérienne de Richmond. Et, avant que notre mandat ne soit aussi limité, nous avons fait mettre en place des procédures pour s’assurer que la police militaire traite les victimes d’agression sexuelle avec sensibilité.
 

Pour ceux qui s’y intéressent, l’Ombudsman a également fait sa part pour favoriser l’adoption d’attitudes appropriées. Pour ce faire, il a évacué le stéréotype fictif selon lequel tous les militaires sont des John Wayne qui restent de marbre devant la brutalité ou la tragédie, et qui se refusent à des sentiments plus humains, comme la faiblesse ou la lâcheté; en combattant la discrimination faite aux femmes et aux Autochtones et en déplorant l’ethos insensible du soldat « jetable après usage », le cas échéant; en mettant au jour des cas de bureaucrates qui ne pensent pas ou la mentalité « c’est le règlement » qui, trop souvent, empêchent les responsables de corriger des problèmes humains qui auraient pu l’être avec un peu d’imagination et de motivation.
 

On ne saurait sous-estimer l’incidence que tout cela a eu sur la qualité de vie des militaires, sur leur moral, sur l’esprit de corps, ou sur le maintien en effectif des soldats à l’heure d’importantes pénuries de personnel. Certes, ces gains ont parfois été obtenus au prix de l’embarras de certaines personnes qui assument les lourdes responsabilités du commandement, et je sais que cela n’a pas été facile. Lorsque les Forces canadiennes ont approuvé des solutions ou accepté des critiques qu’elles jugeaient constructives, et lorsqu’elles ont travaillé pour l’amélioration, toutefois, leur réputation n’en a pas souffert; elle a plutôt été renforcée, tout comme leur leadership.
 

La valeur de la surveillance civile sous la forme d’un Bureau de l’Ombudsman a été amplement démontrée. Il reste à savoir non pas s’il s’agit d’un outil judicieux et approprié, mais bien si on l’a utilisé aussi largement et judicieusement qu’il devrait l'être.
 

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14. Rapport final, Allégations contre les Forces canadiennes, Plaignant : Capitaine Bruce Poulin, rapport spécial de l’Ombudsman du MDN et des FC, 13 août 2001.
 

15. Quand tombe un soldat : Examen de la réaction des Forces canadiennes à la mort accidentelle du Caporal-chef Rick Wheeler, rapport spécial de l’Ombudsman du MDN et des FC, 20 décembre 2004.
 

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Les Anciens combattants, là où le bât blesse

Une couronne honorant les vétérans qui servirent de cobayes lors des essais chimiques de la Seconde guerre mondiale est déposée à Winnipeg lors de la Cérémonie du Souvenir. Ces soldats reçurent finalement la reconnaissance qui leur était due en 2004, après que l’Ombudman eut enquêté sur leurs souffrances.
 

D’un point de vue pratique, il n’est pas logique de refuser aux anciens combattants le droit de se tourner vers l’Ombudsman pour résoudre tous leurs problèmes. Une fois que leur problème devient du ressort d’Anciens combattants Canada, on ne devrait pas leur fermer la porte. On s’imagine souvent qu’un ancien combattant est un vieil homme ratatiné qui, d’une main tremblotante fait le salut à côté d’un monument commémoratif, quelqu’un qui a beaucoup vécu depuis son service militaire --, mais en réalité, Anciens combattants Canada administre les prestations de personnes qui faisaient partie des Forces canadiennes des heures ou des jours plus tôt. Tous les ex-militaires, même ceux qui ont été libérés il y a des dizaines d’années, restent en contact étroit avec l’institution, non seulement parce que leurs expériences militaires sont gravées à jamais dans leur esprit, mais également parce que leur bien-être personnel demeure rattaché au gouvernement qu’ils ont servi. Leur sécurité financière, leur santé mentale et physique et leur sentiment d’appartenance sont tous inextricablement liés à l'armée.
 

Depuis la création du Bureau, nous avons dû plus de 250 fois renvoyer des anciens combattants à cause de notre mandat restreint; les plaintes concernent toutes sortes de choses depuis les délais de traitement des demandes de pensions attribuables à des documents inadéquats jusqu’aux traumatismes liés au stress opérationnel et aux maux débilitants liés au service, en passant par les problèmes liés aux appels de pensions, le rejet de demandes d’avantages sociaux, les délais de réception de renseignements médicaux et les problèmes épineux en matière de soins de longue durée. L’épisode Suffield, l’un des rares dossiers où le Bureau de l’Ombudsman a pu venir en aide à un groupe d’anciens combattants, montre à quel point les problèmes des anciens combattants peuvent être graves. On refusait de verser une pension aux anciens combattants en raison de la perte de documents et de préoccupations moribondes relatives à la sécurité nationale. On aurait pu éviter cette histoire tragique et lamentable, mais pendant des décennies, rien n’a été fait. On n’a rien fait jusqu'à ce qu’on permette aux victimes de faire appel à un ombudsman.
 

Les anciens combattants du Canada n’ont pas leur propre ombudsman classique. Ils s’en remettent plutôt aux employés des Anciens combattants, ou ils dépendent de l’intervention de la Légion canadienne. La Légion canadienne est sans contredit une magnifique organisation qui a fait de son mieux pour établir des comités et assurer la liaison avec des administrateurs gouvernementaux, souvent avec d’excellents résultats, mais elle ne constitue pas un ombudsman institutionnalisé. Elle ne possède pas les pouvoirs de mener une enquête proactive, les ressources ni le personnel professionnel nécessaires, et elle n'est pas autorisée à rendre des comptes officiellement au gouvernement et au public. Il était inévitable que les anciens combattants exigent la création d’un bureau de l'ombudsman ou d’un poste d’inspecteur général chargé de leur venir en aide16. Il faut répondre à leur demande.
 

Donc, quelle réponse le Bureau de l’Ombudsman reçoit-il lorsqu’il demande qu’on lui confie le mandat nécessaire pour aider ces personnes, à qui nous devons tous tant? Ce n’est pas une réponse fondée sur une raison ou un principe impérieux. La réponse est la suivante : le Bureau de l'Ombudsman est le produit d'une directive interne du ministre de la Défense nationale, alors que les affaires des Anciens combattants relèvent du ministre des Anciens combattants. Théoriquement, c’est vrai, mais cette réponse ne convient pas aux personnes qui pourraient demander de l’aide au Bureau. Le ministre des Anciens combattants pourrait simplement signer une directive ministérielle pour leur permettre de faire appel au Bureau de l’Ombudsman. On pourrait également trouver une solution plus appropriée, c'est-à-dire adopter une loi créant un Bureau de l'Ombudsman conjoint des Forces canadiennes et des Anciens combattants qui relèverait du ministre de la Défense nationale en ce qui a trait aux questions touchant le MDN et les FC, et du ministre des Anciens combattants au chapitre des enjeux liés à Anciens combattants Canada. La vérité, c’est que l’organisation ministérielle constitue un obstacle technique, et non pas une structure qui nous empêche de faire ce qu’il faut. Les bons gouvernements ont pour principe de ne jamais permettre à des obstacles techniques de les empêcher de faire ce qu’il faut. On devrait plutôt gérer et surmonter les obstacles techniques.
 

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16. Voir le communiqué intitulé « Modern veterans say they are forgotten, need ombudsman », Stephen Thorne, Presse canadienne, Ottawa, 2004; 5 mai 2004, 15 h 30, débats du Sous-comité des anciens combattants de la Chambre des communes du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
 

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