Remaniement de la surveillance : Livre blanc de l’Ombudsman

Cellules et épisodes de résistance

Si on veut assurer une surveillance civile parfaitement efficace, on doit faire plus que simplement éliminer les obstacles de compétence qui empêchent la fonction d’ombudsman d’aborder la panoplie de problèmes qui se présentent dans les Forces canadiennes. Il faut également pouvoir compter sur le soutien des membres de l’armée. On doit instaurer une culture de coopération et bien faire comprendre la valeur de la surveillance civile. On doit être prêt à changer et à s’améliorer, de même qu’à accepter la critique. Généralement, le Bureau de l’Ombudsman a bénéficié d’une coopération suffisante pour faire son travail, et je suis reconnaissant du soutien que j’ai reçu la plupart du temps. Mais, comme je l’ai fait remarquer à bien des occasions, de hauts dirigeants importants et puissants continuent de m’opposer une certaine résistance. Par moments, j’ai également ressenti une résistance de milieux sur lesquels je pouvais habituellement compter. L’histoire du Bureau est une longue lutte constante pour l’acceptation.
 

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La résistance et le mandat

Le malaise, et parfois l’hostilité des Forces canadiennes à l'égard du rôle de surveillance civile de l’Ombudsman ont été palpables à toutes les étapes de l’élaboration du mandat du Bureau. Comme je l’ai décrit ci-dessus, dès que je suis entré en fonction, j’ai commencé à préparer un plan directeur des besoins du Bureau. J’ai étudié attentivement la fonction d’ombudsman, et j’ai déterminé les principes de base qu’il doit suivre pour assumer efficacement son rôle, c'est-à-dire améliorer le bien-être des membres du MDN et des FC et de l’institution dans son ensemble. J’ai examiné la surveillance militaire effectuée dans d’autres pays et discuté avec d'autres ombudsmans militaires des expériences qu’ils ont vécues et des pièges qu’ils ont rencontrés. J’ai mis leur sagesse à profit pour concevoir une recette de la réussite. Le 20 janvier 1999, j’ai présenté au ministre de la Défense nationale mon rapport intitulé Allons de l’avant : Plan directeur du Bureau de l’Ombudsman. C’est à ce moment-là que je me suis buté pour la première fois à une résistance qui a toujours compromis la capacité du Bureau d’être le plus efficace possible.
 

Malgré les arguments que j’ai apportés, des conseillers juridiques du Ministère, après avoir consulté des avocats et des commandants des Forces canadiennes, ont préparé un mandat qui n’était lié en rien aux principes que j’avais cernés. Selon le premier mandat provisoire qu’on m’a offert, le Bureau n’avait qu’un pouvoir inefficace et faible. Selon le mandat proposé, on aurait fait de l’Ombudsman, comme un avocat principal du JAG m’a déjà dit, un intervenant confiné aux coulisses, une sorte de conseiller qui aurait offert gentiment, de temps à autre, des conseils « non intrusifs » à la chaîne de commandement. Le mandat aurait empêché l’Ombudsman de mener des enquêtes. L’Ombudsman devait être confiné dans des enquêtes officieuses et devait transmettre les dossiers à la chaîne de commandement en les assortissant d’une recommandation concernant la tenue d’une commission d’enquête ou d’une enquête sommaire. Ce n’était pas de la surveillance civile. On traitait le Bureau comme s’il n’était là que pour les apparences. En fait, on considérait qu’il s’agissait d’un semblant d’organisme civil qui, pendant que l’armée continuait à décider des questions d’ordre militaire, n’avait aucun compte à rendre et n’apportait aucune contribution véritable. Pis encore, même si on s’entendait généralement pour dire que, à l’époque, la culture militaire était opposée à la surveillance et au changement, le mandat ne devait pas être soutenu par une directive selon laquelle on aurait exigé des militaires et de la chaîne de commandement qu’ils coopèrent avec le Bureau. Au lieu de cela, le Ministre a simplement inclus dans une directive une promesse banale que les autorités des FC seraient collégiales et coopératives.
 

Je ne pouvais pas l'accepter. Face à nos positions désespérément contradictoires, le ministre de la Défense nationale nous a demandé de reprendre les négociations avec les avocats de l’armée et du Ministère au sujet du mandat du Bureau.
 

La négociation constitue souvent, mais aussi habituellement une option appropriée pour régler les litiges. Toutefois, il est évident que le fait d’exiger d’un ombudsman qu’il négocie son mandat constitue un problème. La négociation est une question de compromis. Plutôt que de déterminer quelles autorités et quels outils rendront le Bureau le plus efficace possible, on fait table rase. Pour comble de malheur, l'exercice qu’on m’avait confié visait à arriver à un compromis avec des représentants d’une institution qui ne voyait pas la nécessité ou l’utilité de la surveillance civile. Par principe, ils ne voulaient simplement pas d’un ombudsman. Ils l’ont bien fait comprendre lorsque les Forces canadiennes ont rejeté la recommandation Doshen, appelant à l’établissement d’un ombudsman organisationnel, parce qu’on craignait que ce genre de surveillance, même édulcorée, minerait l’autorité de la chaîne de commandement. Cette position a été confirmée lorsque le Juge-avocat général a informé mon Bureau que « le champ était occupé » en ce qui a trait à la justice militaire. On m’a demandé de négocier avec des gens qui ne voulaient pas d’un ombudsman. On m’a demandé de faire accepter mon autorité et mes pouvoirs par les personnes mêmes que je devrais surveiller.
 

Compte tenu de cette dynamique, je n’ai pas été étonné de voir les avocats de l’armée et du Ministère qui représentaient la chaîne de commandement adopter des positions de négociation qui auraient fait du Bureau de l’Ombudsman rien de plus qu’un organisme de relations publiques. Les avocats de l’armée alléguaient, par exemple, que je ne devrais pas avoir de pouvoirs d’enquête, prétendant sans pouvoir défendre leur position que, si on investissait le Bureau de pouvoirs d’enquête, il y aurait un conflit avec la police militaire. Ils ont émis cet argument même si je n’ai jamais demandé le pouvoir d’enquêter sur des infractions. Il n’y avait pas la moindre chance que le conflit en question se produise. Cet argument était un complot pour rendre le Bureau impuissant.
 

Même au terme de ce processus, je savais que le pouvoir et les outils qu’on me confierait seraient simplement trop circonscrits pour répondre aux besoins d’un Bureau de l’Ombudsman, mais nous devions nous en accommoder. Le Ministre a décrété que nous commencerions avec un mandat imparfait et que, à la lumière de l’expérience acquise au cours des six mois suivants, on examinerait et réviserait le mandat pour ensuite l’intégrer à un règlement qui lui donnerait force de loi. Pendant les six mois qui ont suivi, j’ai étudié le fonctionnement du Bureau, et j’ai cerné les lacunes au chapitre de l'autorité et des outils dont nous avions besoin. À la fin de cette période, j’ai présenté un rapport et un règlement provisoire qui abordaient les lacunes des Directives.
 

Les avocats du MDN ont fait circuler le règlement provisoire que j’ai préparé parmi un vaste éventail de « parties intéressées » afin d’obtenir leurs commentaires. Chercher à obtenir des commentaires est bien sûr acceptable. Ce qui est désolant, c’est qu’on l’a fait sans en aviser notre Bureau et sans nous permettre de faire valoir notre point de vue. Pendant ce temps, la chaîne de commandement et ses conseillers juridiques, y compris le Juge avocat général, savaient parfaitement ce que nous essayions de faire, et ils ont pu organiser la résistance. Des officiers des Forces canadiennes ont formulé des objections opérationnelles. Un tollé s’est élevé contre un certain nombre des pouvoirs que je cherchais à obtenir, même si aucun ne m’aurait permis d’orienter des décisions militaires ou d’intervenir dans la prise de décisions. On craignait que je ne sape l’autorité de la chaîne de commandement. Pour sa part, le JAG voulait qu’on m’interdise l’accès à toute question relevant de la justice militaire, et exigeait qu’on lui accorde un privilège absolu qui empêcherait l’Ombudsman d’accéder à des tonnes d’information. La CPPM et le Comité des griefs ont écrit une lettre conjointe dans laquelle ils ont fait valoir que nous ne devrions pas être autorisés à traiter des plaintes concernant la police militaire ou des griefs, ni à examiner leurs processus. Des membres du Comité des griefs ont allégué qu’on devrait interdire à mon Bureau d’intervenir dans un dossier qui pourrait faire l’objet d’un grief.
 

Le Grand prévôt ne voulait pas que nous ayons une compétence sur la police militaire, même si notre Bureau a été créé en partie parce qu’on jugeait que la police militaire ne faisait pas un travail satisfaisant lorsqu’elle examinait des plaintes d’agression sexuelle, et même si nous avions déjà publié un rapport qui avait entraîné des changements constructifs en ce qui concerne le traitement des victimes au cours des enquêtes. Le Grand prévôt voulait également que nous restions à l’écart de tout dossier qui pourrait faire l’objet d’une enquête criminelle. La liste d’objections intéressées à un processus qui permettrait d’accroître la responsabilisation de toutes les parties touchées nous a forcés à revenir à la table de négociation.
 

Cette fois là, seuls des conseillers juridiques du Ministère nous faisaient face à la table des négociations. Ils n’avaient pas pour fonction de simplement nous écouter et de décider, au nom du Ministre, si nous avions prouvé la nécessité de la compétence et des outils cernés. Ils ont plutôt essayé de faire la navette diplomatique, présentant chaque élément aux avocats militaires qui représentaient la chaîne de commandement, ou aux nouveaux représentants de la CPPM et du Comité des griefs. La résistance à notre mandat était forte. Au bout du compte, on n’a pas pu conclure d’entente, et le ministre a retenu les services d’un tiers indépendant. Il a effectué un travail admirable, mais sa tâche ne consistait pas à déterminer les outils dont le Bureau aurait besoin pour optimiser son rendement. Il a joué le rôle de médiateur entre des parties qui, selon toute apparence, avaient des intérêts contradictoires. Nous avons réalisé des gains. Ce qui est le plus remarquable, c’est que le ministre a approuvé le droit de l’Ombudsman de publier des rapports publics et de recevoir des plaintes de postulants aux FC. Cependant, nous avons également essuyé certaines pertes, notamment en ce qui a trait à l’imposition d’importantes restrictions à notre compétence relative à la CPPM et au processus de redressement des griefs.
 

Malheureusement, la résistance à la surveillance ne s’est pas évaporée avec l’établissement du mandat.
 

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Le Comité des griefs des Forces canadiennes

Au cours des négociations concernant notre mandat, la CPPM et le Comité des griefs ont écrit conjointement une lettre dans laquelle ils prétendaient que le ministre de la Défense nationale n’avait pas le pouvoir légal de confier à l’Ombudsman quelque rôle que se soit en relation avec les griefs ou le processus de redressement des griefs, ou en ce qui a trait aux plaintes concernant la police militaire. Ils ont allégué que, si on donnait un tel pouvoir à l’Ombudsman, on minerait la compétence et les pouvoirs que leur confère la loi. Le ministre en a référé aux avocats du ministère de la Justice, qui ont rejeté cet argument, et nous avons fini par obtenir un pouvoir limité, enchâssé dans les Directives ministérielles, qui nous permet, si les circonstances l’exigent, de traiter des plaintes qui pourraient faire l’objet d’un grief. De surcroît, nous avons été habilités à examiner le processus de redressement des griefs et le processus de règlement des plaintes concernant la police militaire pour nous assurer qu’ils fonctionnent bien.
 

Malgré cela, et malgré les reproches dont le ministre les a accablés lorsqu’ils ont réaffirmé leur position, les représentants du Comité des griefs des FC ont continué de maintenir que le Comité échappait à la surveillance des processus, même limitée, que nous devions assurer, alléguant que, comme il est un organisme indépendant, ses employés ne sont pas des employés du MDN et des FC et, partant, ne sont pas tenus de se conformer aux directives ministérielles relatives à notre compétence. Cette position a entravé les enquêtes. Nous avons également eu de la difficulté à obtenir de l’information du Comité des griefs. On nous a dit que ces ennuis découlent d’un « problème de communications ». J’en doutais. Il s’agit de problèmes imputables à la résistance qui plongent leurs racines dans la croyance persistante selon laquelle nous n’avons pas de compétence légitime sur les questions relatives au Comité des griefs. Je me suis senti obligé de soulever cette question dans mon rapport annuel de 2002 2003.
 

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Objections techniques

Le pouvoir d’enquêter de l’Ombudsman est beaucoup trop souvent contesté par les avocats du JAG. Plutôt que d’adopter une attitude visant à nous aider à régler les plaintes, ils soumettent périodiquement les Directives ministérielles à une interprétation stricte, étroite et parfois irréaliste. Par exemple, pendant l’enquête Smith 46, nous enquêtions sur une déclaration publique au sujet d’une enquête criminelle en cours et avons appris que cette déclaration avait peut être été faite à la lumière de conseils juridiques. Lorsque nous avons tenté d’en savoir plus, on nous a fait comprendre que nous n’avions pas la compétence nécessaire pour enquêter sur les activités de conseillers juridiques de l’armée. En fait, nous n’enquêtions pas sur les activités des conseillers juridiques de l’armée. Nous voulions savoir si le fait de formuler une déclaration publique au sujet d’une enquête criminelle en cours était problématique.
 

Lorsqu’on remet en question l’autorité d’un ombudsman pour des considérations fortement techniques, non seulement la situation est peu flatteuse, mais elle est aussi ironique. Un ombudsman a pour rôle de passer outre aux considérations d’ordre technique et de faire évoluer les mentalités bornées, axées sur les règles, mais parfois son mandat est en butte au même traitement, ce qui lui met des bâtons dans les roues. Cela ne se produirait pas dans une culture où l’on préconise le soutien.
 

Le secret professionnel

Le Bureau a également été freiné par des allégations de secret professionnel. Même s’il est bien connu que le secret professionnel s’applique aux conseillers juridiques du gouvernement qui conseillent des organismes gouvernementaux, si on excipe de ce privilège avec trop de zèle, on peut saper inutilement des enquêtes. Après un moment de réflexion, on comprend pourquoi. Dans l’armée, on prend peu de décisions portant à conséquence sans avoir d’abord obtenu des conseils juridiques. Par exemple, dernièrement, mon Bureau a transmis un dossier portant sur des plaintes de harcèlement et de traitement injuste au sous ministre adjoint (Ressources humaines – Militaires) pour qu’il essaie de trouver un règlement. Les représentants de son bureau ont immédiatement refilé le dossier à leurs avocats et ont refusé de rencontrer mes enquêteurs pour discuter d’une solution avant que les avocats de l’armée l’aient examiné et aient donné une opinion quant à son bien fondé. Notre rôle consiste à examiner le processus décisionnel. Si un ombudsman de l’armée se bute à des objections relatives au secret professionnel lorsqu’il explore le fondement de décisions ou l’élaboration de politiques, de pratiques et de règlements, il ne pourra accéder à bien des renseignements utiles et nécessaires.
 

Le fait est que les Forces canadiennes se servent du secret professionnel dans leur intérêt. Lorsque des militaires ou la chaîne de commandement consultent le JAG dans le cadre de leurs fonctions avant d’agir, la personne qui les conseille n’est pas le client. Cependant, c’est le cas des Forces canadiennes. Même s’il est vrai que les avocats du gouvernement et les ministères sont tenus au secret professionnel, l’Ombudsman n’est pas un étranger. Le Bureau de l’Ombudsman est indépendant de la chaîne de commandement, mais il fait partie de l’appareil militaire. En réalité, si on invoque le secret professionnel pour empêcher l’Ombudsman du MDN d’accéder à de l’information, c’est comme si une division d’une organisation l’invoquait à l’encontre d’une autre division de la même organisation. Qui plus est, l’Ombudsman est le délégué du ministre de la Défense nationale. Si on invoque le secret professionnel à l’encontre de l’Ombudsman, c’est comme si on invoquait ce privilège contre le ministre lui même. Pouvez vous imaginer qu’un général dise :  « Désolé, monsieur le ministre, mais je ne peux répondre à votre question parce que nous avons agi selon les conseils juridiques du JAG. »  En vérité, le recours au secret professionnel pour empêcher l’Ombudsman d’accéder à des renseignements lorsque le client est les Forces canadiennes constitue un subterfuge opportuniste pour cacher de l’information, mais c’est un subterfuge auquel nous sommes confrontés.
 

Pour illustrer cette situation, nous pouvons nous remémorer la plainte déposée dans le cadre de l’enquête Smith, concernant la publication d’information sur une enquête criminelle. La personne qui a publié cette information a prétendu, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle estimait avoir le droit de faire cette déclaration, qu’elle avait suivi les conseils d’un avocat. Lorsque le Bureau a essayé de vérifier si cette personne s’était bel et bien fondée sur des conseils juridiques, le conseiller qui avait donné les conseils en question a invoqué le secret professionnel pour nous interdire l’accès à l’information. Ça n’aurait pas dû se passer ainsi. Premièrement, le privilège du secret professionnel avait été concédé aux Forces canadiennes, et non pas à la personne en question. Deuxièmement, et quoi qu’il en soit, il est bien connu que, lorsqu’une personne s’appuie sur des conseils juridiques pour justifier ses actes, elle est réputée renoncer à son privilège parce qu’elle ne peut s’appuyer sur des conseils et en même temps les tenir secrets. C’est pourtant ce que la personne a fait. Troisièmement, l’avocat qui a décidé que le secret professionnel s’appliquait se trouvait dans une situation conflictuelle désespérante. C’est lui qui a d’abord donné les conseils en question. On aurait dû nous communiquer l’information.
 

Devant une telle obstruction, nous avons fait appel au JAG pour obtenir l’information dont nous avions besoin pour notre enquête et pour qu’on divulgue le nom des autres personnes qui avaient reçu les conseils en question. Même si nous savions que les renseignements qui nous intéressaient n’étaient pas assujettis au secret professionnel, nous pensions que la façon la plus efficace de les obtenir était de faire signer une renonciation à ces personnes. Pour ce faire, nous avions besoin de leur nom. Cependant, on nous a dit que le nom des personnes à qui on avait donné les conseils en question étaient eux mêmes confidentiels. Si ces personnes avaient été les véritables clients dans les relations juridiques pertinentes, l’argument aurait peut être tenu la route. Ces personnes avaient obtenu les conseils en question, non pas pour leur propre compte, mais dans le cadre de leurs fonctions en tant que membres des Forces canadiennes, aux fins de leurs fonctions. Le véritable client était les Forces canadiennes elles mêmes. Non seulement les noms n’étaient pas confidentiels, mais les Forces canadiennes n’ont fourni aucune renonciation, même si nous avions dit que nous avions besoin de cette information. Nous nous sommes plutôt butés à un refus, et on nous a dit que, selon le bureau du JAG, nous disposions de suffisamment de renseignements pour effectuer notre enquête dans les limites de notre mandat.
 

Compte tenu des risques que les prétentions fallacieuses au secret professionnel posent pour les enquêtes, nous avons négocié un protocole au cours de la dernière ronde de négociations, avec l’intervention du médiateur. Selon cette entente, les Forces canadiennes doivent trouver le juste équilibre entre des intérêts contradictoires avant d’exciper du secret professionnel.  Depuis, cependant, rien n’a changé. On continue d’invoquer le secret professionnel chaque fois qu’on peut le faire afin d’entraver la collaboration.
 

Législation sur la protection des renseignements personnels

L’obstacle technique le plus novateur et le plus créatif qu’on ait trouvé pour nous empêcher d'accéder à l'information consiste à interpréter de façon abusive la Loi sur la protection des renseignements personnels. Lorsque nous menions l’enquête Lapeyre-Wheeler 47 qui portait sur le décès d’un soldat survenu au cours d’un exercice d’entraînement, dès le début, le Directeur – Personnel de la force terrestre nous a refusé l’accès à l'information, invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous avons dû obtenir le soutien du Directeur – Accès à l'information et protection des renseignements personnels de l’époque, qui a reconnu que l’Ombudsman avait le droit d'accéder à une version non modifiée et non expurgée de l’information étant donné que, lorsqu’il menait une enquête, il agissait à titre de délégué du ministre.
 

Malgré l’établissement de ce principe, au moment de la rédaction du présent Livre blanc, le Bureau de l'Ombudsman se heurte encore à un mur de silence dans le cadre d’une autre enquête qu’il a entreprise. Ironiquement, l’enquête a été amorcée à la demande du chef d'état-major de la Défense et concerne le traitement au sein des Forces canadiennes de six tireurs d’élite qui avaient été détachés auprès des Forces armées américaines en Afghanistan en 2002. On a dit au Bureau que la transcription des témoignages d’une Commission d’enquête relativement à la plainte ne pouvait lui être remise sans qu’on l’ait d'abord expurgée et corrigée, comme si l’Ombudsman avait présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l'information. Nous avons été étonnés de l’apprendre, étant donné qu’un employé du MDN et des FC nous avait déjà envoyé un exemplaire intégral du rapport de la Commission d’enquête ainsi qu’un rapport psychiatrique contenant des données extrêmement personnelles et confidentielles sur l’un des tireurs d’élite, sans son consentement. Le Bureau a depuis reçu au goutte à goutte des transcriptions ayant fait l’objet de lourdes corrections, transcriptions qui coûtent beaucoup d’argent à l’armée.  Comme les renseignements ont fait l'objet de révisions, les enquêteurs se sont demandés si certains renseignements protégés sont vraiment des renseignements personnels.
 

De plus, le Bureau a essayé d’obtenir copie des journaux de guerre de l’unité des tireurs d’élite (dossiers officiels générés à des fins historiques au cours du déploiement). Au début, on a dit au Bureau qu’il ne pourrait pas y accéder pour des raisons de confidentialité. Ensuite, on lui a dit qu’il le pouvait. Par la suite, l’enquêteur a découvert que le Service national des enquêtes des FC (SNEFC) était en possession de certains documents. Aujourd'hui, les employés du Service disent encore au Bureau que les journaux de guerre doivent faire l'objet d'une révision à des fins de confidentialité. Ils ont déjà laissé entendre que l’Ombudsman devrait déterminer l'information dont l'enquêteur a besoin et qu’ils la lui fourniront s’ils estiment qu’elle est pertinente.
 

Tout cela est extrêmement frustrant. Comme je l’ai déjà indiqué, bien que l’Ombudsman soit indépendant de la chaîne de commandement, ce n’est pas un étranger. C’est le délégué du ministre. Remettrait-on au ministre des documents expurgés pour des raisons de confidentialité? Je le répète, le Bureau est une division de l’institution et travaille à l’améliorer. Il devrait avoir accès à ses dossiers, sauf en ce qui a trait à la sécurité nationale et aux opérations. J’ai sollicité en vain l’aide et le soutien des plus hautes instances du MDN et des FC à l’égard de ce problème. Malheureusement, mes demandes sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Il n’y a pas si longtemps, j’ai rencontré la Commissaire à la protection de la vie privée et je lui ai écrit pour lui faire part de mes préoccupations concernant l’utilisation abusive de la Loi sur la protection des renseignements personnels par le MDN et les FC.
 

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46. Plaintes sur des remarques inopportunes formulées publiquement au cours d’une enquête du SNEFC et sur la non protection par la chaîne de commandement de l’intégrité de l’enquête. Rapport spécial de l’Ombudsman du MDN et des FC, 7 décembre 1999.
 

47. Ibid.
 

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La réaction aux rapports

En général, les recommandations que le Bureau a formulées dans ses rapports ont été bien reçues. La plupart d’entre elles ont été bien acceptées et mises en œuvre. Habituellement, le Bureau a bénéficié de la collaboration des hautes sphères de la chaîne de commandement. Cependant, il ne jouit pas d’un appui universel et a travaillé fort pour être accepté. Parfois, le soutien qu’on lui consent est assez timide. Cela est compréhensible sur le plan humain. Les gens ont tendance à être timorés lorsque l’Ombudsman publie des rapports dans lesquels on émet des critiques ou on met quelqu’un dans l’embarras. Ce n’est pas un aspect plaisant de son travail, mais lorsqu’il cerne des problèmes, l’Ombudsman a le devoir de les signaler. Le progrès tient à l'acceptation des erreurs, des fautes et des procédures inappropriées mises au jour, si pénible que ce puisse être.
 

C’est pour cette raison qu’il est toujours décourageant de trouver dans la chaîne de commandement des gens qui n’acceptent pas le rôle de l’Ombudsman. Je ne veux pas déterrer de vieux exemples et risquer de rouvrir d’anciennes plaies pour illustrer ce point. Cela ne servirait à rien. Je sais que le Bureau vivra incontestablement des hauts et des bas à mesure qu’il s’infiltrera dans la conscience de l’institution. Cependant, tant que les personnes en position d’autorité ne reconnaîtront pas véritablement non seulement la valeur de la surveillance civile, mais aussi l’importance de la critique constructive, les contributions de l’Ombudsman seront moindres, et des occasions se perdront.
 

Pour obtenir la faveur du public ainsi que des résultats optimaux, il faut entre autres adopter une attitude dynamique. J’ai parlé de la culture militaire et de son penchant pour la mentalité axée sur le règlement, et j’ai parlé des complications que peut entraîner la bureaucratie. À certaines occasions, on nous a dit qu’on ne pouvait pas mettre en œuvre nos recommandations parce qu’elles créeraient un précédent non désiré, qu’elles seraient contraires aux règlements militaires, parce qu’elles sont exclues par les règles du Conseil du Trésor, ou qu’il faut approfondir l’étude. Si on appuyait vraiment l'Ombudsman, ce genre d'objections disparaîtraient toutes seules.
 

Tout d’abord, on ne craindrait pas de créer un précédent s’il est judicieux. Les précédents peuvent ouvrir la voie à un changement positif. La présence de règlements militaires constitue le prétexte le moins convaincant pour justifier l’inaction. Les règlements militaires sont régis par l’armée. S’ils nous empêchent de trouver des solutions appropriées, on les modifie. En ce qui a trait aux règles du Conseil du Trésor, nous effectuons des recherches exhaustives pour nous assurer que nos recommandations peuvent être mises en œuvre avant de les formuler. Quoi qu’il en soit, même si les Forces canadiennes doivent respecter les lignes directrices du Conseil du Trésor, elles ont un rôle important à jouer pour s’assurer que ces lignes directrices ne deviennent pas des obstacles administratifs à la prise de décisions judicieuses. Lorsqu’elles posent problème, les Forces canadiennes doivent demander au Conseil du Trésor de modifier les règles ou de les exempter de l’obligation de les respecter. Elles ne doivent pas s’appuyer sur ces règles pour justifier leur inactivité. Pour ce qui est de l’étude plus approfondie, il est certes prudent, avant de prendre des décisions importantes, d’établir les faits, mais il est très rare que les enquêtes de l’Ombudsman sont incomplètes au point de ne pas étayer une prise de décisions. Trop souvent, lorsqu’on allègue qu’il faut approfondir les études, c’est qu’on veut retarder les choses.
 

En vérité, pour ces raisons, peu d’explications données pour justifier le rejet des recommandations ou le report de leur mise en œuvre sont crédibles. Elles peuvent devenir trop facilement des prétextes. Nous avons besoin de deux choses : une estimation et une réaction honnêtes à l’égard de la valeur des idées, et une attitude dynamique lorsqu’un changement s’impose. Au bout du compte, c’est une question d’attitude et d’acceptation. Le Bureau de l’Ombudsman ne peut remplir sa mission si les Forces canadiennes ne l’appuient pas davantage.
 

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