Remaniement de la surveillance : Livre blanc de l’Ombudsman

S’assurer une crédibilité et obtenir les pouvoirs nécessaires

Donc, pour être parfaitement efficace, un bureau de l'ombudsman doit être indépendant. Il doit pouvoir travailler sans avoir à surmonter les obstacles de compétence que l’on place de façon opportuniste sur la voie d’une résolution efficace des plaintes. Pour être totalement efficace, un bureau de l’ombudsman doit être crédible, tant pour les militaires qu’il sert que pour ceux qui font l'objet de sa surveillance. La meilleure façon, la seule, en fait, d’y arriver complètement est d’adopter une loi sur le bureau de l’ombudsman de l’armée. L'ombudsman de l’armée devrait être prévu dans la Loi sur la défense nationale et la Loi sur le ministère des Anciens combattants.
 

Je vais commencer par expliquer pourquoi, pour être indépendant, l’ombudsman doit être investi de pouvoirs conférés par les lois. Certes, le Bureau de l’Ombudsman a pu jouer efficacement son rôle de délégué du ministre de la Défense nationale, même si son autorité dépend de directives administratives et d’un ordre permanent de collaboration émis par le CEMD. Cependant, il n’est jamais bon de ne pas être assuré d’un mandat indépendant. Un ombudsman militaire doit jeter un regard critique sur les décisions et actions prises non seulement sous l’égide du CEMD, mais également sous la surveillance du ministre, et parfois, avec son approbation. Il est simplement malsain de recourir à un ombudsman aussi dépendant de la bonne volonté de personnes qui peuvent s’offusquer de ce qu’on doit dire dans l’intérêt de l’institution. Si on veut qu’il soit vraiment efficace et utile, l’ombudsman ne peut pas être indépendant que par moments, selon le bon vouloir des dirigeants. Son indépendance doit être imposée par une loi. Le Bureau de l’Ombudsman doit être créé par une loi.
 

Ensuite, il y a la question de la compétence. Comme je l’ai relaté dans les nombreuses pages précédentes, le pouvoir, même extrêmement restreint, qu’on a accordé au Bureau est instable, précisément parce que le Bureau n’est pas soutenu par une loi. La CPPM et, plus notoirement, le Comité des griefs des FC a cherché de temps à autre à se servir de son statut législatif pour s’opposer à l’application des Directives ministérielles. Ces deux instances ont allégué qu’un ombudsman dont le pouvoir est délégué est incapable, selon la loi, d’examiner quoi que ce soit qui est protégé par une loi, ou qui suppose la surveillance d’organismes créés par une loi. De plus, elles se fondent sur leurs propres cadres législatifs et sur leur indépendance du ministère pour faire valoir que l’intrusion d’un délégué du ministre dans leurs champs de compétence crée une aura d’ingérence politique. En créant le Bureau par une loi, on éliminera toute possibilité de ce genre d'objection.
 

J’ai également essayé de montrer qu’il n’y a aucun avantage à priver des ex-membres des FC de l’accès à un ombudsman pour demander une enquête sur des questions liées aux Anciens combattants étant donné que le Bureau de l’Ombudsman du MDN et des FC est déjà en pleine activité et est parfaitement capable de répondre à leurs besoins. Cependant, comme le Bureau de l’Ombudsman est le délégué du ministre de la Défense nationale et que les prestations des anciens combattants sont administrées par Anciens combattants Canada, l’Ombudsman ne peut apporter son aide dans ces domaines. Cette situation lamentable tient à un problème de compétence que l’on peut régler en enchâssant le Bureau dans une loi. En dotant le Bureau de l’Ombudsman d’un pouvoir conféré par une loi, on l’habilitera à offrir un service complet, ce qu’il devrait déjà faire, et à répondre à un besoin urgent.
 

Arrive maintenant la question connexe de la crédibilité. Qu’il tire ou non son pouvoir d’une loi, un ombudsman doit être accepté par les plaignants et par les personnes qui font l’objet de sa surveillance. J’ai toujours cru qu’un bureau de l’ombudsman pouvait venir à bout de la résistance par son bon travail, mais la réalité est tout autre : le rendement ne peut à lui seul faire fondre la résistance. La raison en est simple : même si l’ombudsman peut éviter l’acrimonie des poursuites, il reste toujours des personnes qui sont embarrassées par ses recommandations ou qui sont si conservatrices qu’elles s’indignent de tout véhicule de changement. Il est suffisamment difficile de se faire accepter par ces gens sans qu’on ait à se faire dire continuellement par eux que l’ombudsman est en quelque sorte un intrus illégitime qui fourre son nez dans les affaires des autres. Une loi habilitante lui assurerait un soutien sans équivoque qui ne pourrait avoir pour effet que de réduire le penchant pour le ressentiment et la résistance.
 

Enfin, il faut s’assurer qu’un ombudsman dispose des outils nécessaires. On peut les lui fournir au moyen d’une loi qui contiendrait, et c’est là l’outil qu’on doit lui fournir de toute urgence, une déclaration claire selon laquelle le Bureau de l’Ombudsman fait toujours partie du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes même s’il est indépendant de la chaîne de commandement, et qu’on ne devrait donc jamais lui refuser de l’information en invoquant le secret professionnel et la Loi sur la protection des renseignements personnels.
 

Il existe donc des raisons impérieuses d’enchâsser le Bureau de l'Ombudsman du MDN et des FC dans une loi. Paradoxalement, son exclusion du régime législatif établi dans le projet de loi C 25 découle directement de la résistance à la surveillance civile qui fait que cette surveillance civile est nécessaire. Ce genre d’opposition devrait être écartée, et non pas récompensée. Lorsqu’on a rédigé la loi, on a fait fi de nombreuses recommandations en vue de l’établissement d’un ombudsman ou d’un inspecteur général à cause du spectre de l’ingérence dans la chaîne de commandement que certains ont brandi. N’eût été de cette opposition, le Bureau de l’Ombudsman serait déjà intégré à la loi. Qui plus est, il n’y a pas de motif juridique d’exclure ainsi le Bureau. Dans toute autre administration dotée d’un ombudsman militaire, l'autorité est prescrite dans une loi. Mais ce qui est peut-être le plus important, c’est que, depuis que le ministre de la Défense nationale a créé le Bureau, ce dernier a montré de quoi il était capable. Il a montré qu’il peut régler des problèmes rapidement. Il peut faire économiser de l’argent. Il peut améliorer la qualité de vie des militaires, et il peut contribuer à l’amélioration de l’institution. Le Bureau a prouvé sa valeur. Il devrait être institutionnalisé selon son mérite. Dans une institution aussi importante et en manque d'argent, c’est du gaspillage que de se fier à la CPPM et de lui octroyer une compétence exclusive dans le processus de règlement des griefs. Les Canadiens, et même si ce n’est pas l’avis de tout le monde dans la chaîne de commandement, les Forces canadiennes méritent mieux.
 

Vient ensuite la question délicate du respect des promesses non tenues. L’une des choses qui nous ont incités à accepter un mandat affaibli au cours de la dernière ronde de négociations est la promesse que le mandat qui nous était confié, si imparfait qu’il soit, serait enchâssé dans une loi. On a fait cette promesse pour remplir l'engagement qu’on avait pris à mon égard en 1999, c'est-à-dire d’inclure le Bureau dans un règlement après le premier examen semestriel. Comme le mandat n’a pas été fixé après six mois, on n’a pas respecté l’échéance, et nous avons attendu la fin des négociations, qui se sont déroulées pendant de nombreux mois. À la fin de ce processus, lorsqu’on a conclu une entente, on a confié au conseiller juridique avec lequel nous avons négocié le soin de consulter les rédacteurs du Ministère. Il semblait ne rester que des détails techniques à régler. Peu après, un changement d’effectif des conseillers juridiques de la haute direction du Ministère et la brusque nomination d’un nouveau ministre ont fait dérailler le processus. Lorsque nous avons continué à insister pour que notre mandat soit établi dans une loi, on nous a dit qu’on réexaminerait la question au cours de l’examen quinquennal prévu dans le projet de loi C 25, en 2003. Nous avons préparé nos arguments. Puis, lorsqu’on a entrepris l’examen quinquennal, le Bureau a été exclu du processus.
 

La décision d’exclure le Bureau de l’Ombudsman du MDN et des FC de l’examen quinquennal se fondait sur une interprétation étrangement étroite des dispositions portant sur l’examen au paragraphe 96(2) du projet de loi C 25. Même s’il est vrai qu’on ne mentionne pas le Bureau de l’Ombudsman dans le projet de loi C 25 (pour la raison évidente que le Bureau a été créé extérieurement, après la rédaction du projet de loi), l’objectif qu’on poursuivait, en prescrivant un examen quinquennal, était d’examiner l'efficacité de la surveillance au sein de l’armée. On ne peut le faire raisonnablement ni efficacement si on ne tient pas compte du rôle de l’organisme responsable en grande partie du règlement des conflits – le Bureau de l’Ombudsman. On ne saurait évaluer l’efficacité de la CCPM et du Comité des griefs des FC sans examiner le rôle que joue le Bureau de l’Ombudsman dans l’examen des processus et le soutien du règlement des conflits. La décision d’exclure le Bureau de l’examen était irrationnelle et se fondait sur des détails hypertechniques. Elle a confondu le juge en chef Lamer, qui a toutefois été obligé de respecter son mandat. Partant, il a dû essayer de trouver des solutions aux problèmes qui accablent les organisations créées par une loi sans tenir compte de la contribution que pouvait apporter le Bureau de l’Ombudsman. Malheureusement, le mandat restreint qu’il devait remplir dans le cadre de l’examen quinquennal a sapé la crédibilité aussi bien que l’utilité de l’examen. Et tout cela est arrivé à cause de conseils juridiques qu’on a donnés au ministre au nom de personnes qui s’opposaient à la surveillance civile. Cette histoire regrettable est non seulement peu flatteuse, mais également ironique. Au cours de l’examen quinquennal, on n’a pas évalué l’état de la surveillance militaire de façon exhaustive et crédible à cause de la même attitude pessimiste, bornée, légaliste et attachée aux détails techniques qui a créé une panoplie de problèmes au sein des Forces canadiennes.
 

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Conclusion

Malgré les épreuves, les vicissitudes et les déceptions occasionnelles, cela a été un réel privilège pour moi d’occuper le poste d’Ombudsman du MDN et des FC pendant les sept dernières années. En fait, j’ai eu l’insigne honneur d’avoir été le premier Ombudsman de cette organisation, et d'avoir participé à la mise sur pied du Bureau. J’ai eu le privilège encore plus grand de travailler avec un grand nombre de gens dévoués et talentueux dont les efforts m’ont permis de signer de multiples histoires de réussite. Évidemment, je suis déçu de ne pas avoir obtenu un mandat prévu par la loi pendant toutes ces années, mais à moins que la résistance fondée sur des intérêts personnels ou l’insécurité puisse l’emporter indéfiniment sur la raison, on l’obtiendra tôt out tard. Mais, bien sûr, il faut le faire de toute urgence afin que le Bureau de l’Ombudsman du MDN et des FC puisse réaliser son plein potentiel, non pas dans son propre intérêt, mais dans l’intérêt de l’institution et de ses membres.
 

C’est l’importance de la mission du Bureau de l’Ombudsman qui m’a incité à exprimer le fond de ma pensée dans le présent document et par le passé. Je sais que cela va contrarier bien des gens. Je n’en tire aucun plaisir. Cependant, ma responsabilité de le faire est une question de confiance. De même, c’est l’importance de cette mission et la confiance qui devraient motiver les dirigeants politiques et militaires à appuyer sans équivoque les changements que je propose aujourd’hui. La forme et l’autorité d’un Bureau de l’Ombudsman ne devraient pas être une question de négociation ou de compromis. Il s’agit seulement de faire ce qui est juste.
 

Comme je l’ai déjà dit, au moment de mon départ, une nouvelle page d’histoire est en train de s’écrire. Il n’en tiendra qu’à d’autres de s’assurer d’aller de l’avant et de ne pas revenir en arrière.
 

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