Allégations contre les Forces canadiennes - Introduction

Introduction

Genèse de la plainte

Le 9 juillet 1996, le capitaine Poulin rédigeait une note de service sur des faits qu'il jugeait de son devoir de signaler. Ses allégations étaient sérieuses et commandaient une attention immédiate. Pourtant, il ne se passa rien. Le manque de réaction et l'absence de réponse à ces plaintes devaient provoquer un enchaînement d'événements entraînant d'autres plaintes contre plusieurs personnes et plusieurs organismes chargés du règlement des conflits au sein des Forces canadiennes. Certaines de ces plaintes ont un certain mérite, d'autres non, mais une chose est certaine : si les plaintes originales avaient reçu l'attention qu'elles méritaient et avaient été traitées de façon appropriée, le capitaine Poulin ne se serait pas lancé dans ce qui s'est avéré être cinq ans de frustrations et d'anxiété pour les nombreuses personnes impliquées, en particulier pour lui et sa famille. Il n'aurait pas développé une telle méfiance envers les Forces canadiennes et plusieurs de ses éléments, dont beaucoup d'actions ou d'inactions ont été perçues comme étant répréhensibles et injustes même si elles ne l'étaient pas. Cette affaire a irrévocablement brisé sa carrière et amoindri la qualité de son expérience en tant que membre des Forces canadiennes. Son moral a été sévèrement affecté, ainsi que son image. Comme il le dit lui-même, " les dommages causés à ma carrière, à ma réputation et à mon statut professionnels sont irréversibles. " Cela n'aurait pas dû se produire et son expérience montre bien à quel point il est important de véritablement respecter le droit des membres des Forces canadiennes d'exprimer leurs préoccupations et leurs craintes et de chercher des remèdes aux injustices ou autres problèmes qu'ils perçoivent. C'est seulement en prenant les plaintes au sérieux que l'on peut découvrir les problèmes réels et les corriger et aussi redresser les perceptions erronées.
 

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Acheminement des plaintes au Bureau de l'Ombudsman

Le 12 juillet 1999, le major-général Penny, Chef - Service d'examen, rencontrait mon conseiller principal en politiques, pour étudier la possibilité que le Bureau de l'Ombudsman enquête sur les allégations du capitaine Bruce Poulin. Le capitaine Poulin est un membre des Forces canadiennes, actuellement affecté à l'état-major, au sein des Affaires publiques, au Quartier général de la Défense nationale. Il prétend être victime de représailles de la part de nombreuses autorités des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale depuis une conférence de presse donnée le 17 juin 1998, au cours de laquelle fut rendue publique une note de service qu'il avait écrite le 9 juillet 1996; dans cette note de service, il avait fait des allégations de comportement inapproprié contre le colonel Serge Labbé. Cette conférence de presse était donnée par le lieutenant-général Leach, chef d'état-major de l'Armée de terre. En tant que commandant adjoint de l'Armée de terre, le lieutenant-général Leach (alors major-général), était le destinataire de cette note de service de juillet 1996 et il n'avait prétendument rien fait pour répondre aux allégations qu'elle contenait.
 

La remise de cette plainte à mon Bureau, par le Chef - Service d'examen, fait suite à plusieurs tentatives infructueuses de règlement des divers aspects de cette affaire par le biais des mécanismes internes existants, y compris des enquêtes par le Service national des enquêtes, des plaintes au Grand Prévôt adjoint responsable des Normes professionnelles de la Police militaire, des propositions de médiation par le Directeur exécutif, Gestion des conflits au ministère de la Défense nationale, des requêtes en réparation de préjudices et, pour finir, une proposition d'étude administrative faite par un organisme privé au nom du Chef - Service d'examen.
 

Les réponses internes à ces plaintes, issues du ministère de la Défense et des Forces canadiennes, ont entraîné de nouvelles allégations contre d'autres autorités des Forces canadiennes et du Ministère dont la chaîne de commandement du capitaine Poulin et des personnes attachées à d'autres instances habilitées à traiter ce genre de plaintes.
 

Le Chef - Service d'examen a demandé au capitaine Poulin de participer à une enquête menée par une personne de l'extérieur mandatée par son Bureau. Le capitaine Poulin a répondu qu'une personne entretenant une relation contractuelle avec le Ministère ne peut avoir l'indépendance nécessaire à une enquête objective. C'est pour répondre à cette insistance du capitaine Poulin pour que l'enquête sur ses plaintes soit menée par une entité extérieure tout à fait indépendante, que le Chef - Service d'examen est entré en contact avec mon Bureau pour voir si nous pouvions nous en charger.
 

Nous avons accepté de prendre cette enquête en mains, à condition que d'une part, le capitaine Poulin accepte notre intervention et que d'autre part, ce dernier et le Chef - Service d'examen s'entendent pour que toute autre enquête interne sur cette affaire soit suspendue jusqu'à la conclusion de notre propre enquête. Le capitaine Poulin nous a donné son accord par télécopie, le 21 juillet 1999; dans une note au Chef - Service d'examen datée du 22 juillet, il a déclaré croire que le Bureau de l'Ombudsman avait  « l'indépendance et l'objectivité requises pour examiner (mes) allégations d'une manière efficace » .
 

En fin de compte, mon rôle en tant qu'Ombudsman n'est pas de conduire des enquêtes de nature pénale ni de porter des accusations. Il consiste plutôt à examiner toute cette affaire et d'évaluer si oui ou non le plaignant a été traité équitablement. Dans la note de service du 9 juillet 1996, à l'origine de toute cette affaire, des allégations d'inconduite ont été faites contre le colonel Labbé. Je tiens d'abord à établir très clairement qu'il n'est pas dans mes fonctions d'établir le degré d'exactitude de ces allégations ni d'établir si le colonel Labbé a commis ou non certains des actes présumés dont il est accusé. Je me suis donc bien gardé d'emprunter cette voie. Dans la mesure où ces allégations sont à la base de la plainte initiale du capitaine Poulin, il m'apparaît nécessaire de les décrire de façon à donner un contexte à ce rapport et à bien faire comprendre la nature et la gravité de cette plainte ainsi que les événements qui ont suivi.
 

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Résumé de la plainte

Le capitaine Poulin a suivi un cours au Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne, du 29 janvier au 14 juin 1996. Le Collège était alors commandé par le colonel Serge Labbé.
 

À la fin de son cours, le capitaine Poulin était retourné à son poste, comme rédacteur de discours pour le chef d'état-major de l'Armée de terre, au Quartier général de St. Hubert (Québec). Après son retour, le capitaine Poulin adressait une note de service, le 9 juillet 1996, au lieutenant-général Leach, commandant adjoint de l'Armée de terre, dans laquelle il faisait état d'un comportement inapproprié de la part du colonel Labbé.
 

Dans cette note de service du 9 juillet 1996, le capitaine Poulin prétendait avoir vu le colonel Labbé frotter le dos d'une employée civile du mess des officiers. Il prétendait en outre avoir parlé à cette employée, par la suite, et qu'elle lui avait dit que le colonel Labbé lui avait déjà fait des avances dans le passé. Plus tard, le capitaine Poulin en avait parlé avec quelques-uns de ses collègues étudiants qui, selon ses dires, lui auraient relaté des anecdotes remontant au milieu des années 80 et selon lesquelles le colonel Labbé, alors chef de bataillon, aurait organisé le transport de ses officiers en uniforme, dans un club de striptease local. Le capitaine Poulin avait inclus cette information dans sa note du 9 juillet. Finalement, il prétendait aussi avoir vu des collègues étudiants boire de l'alcool à bord d'un autobus des Forces canadiennes et dans le terminal passager de la base des Forces canadiennes de Trenton et ce, en présence du colonel Labbé.
 

Le capitaine Poulin avait aussi envoyé une deuxième note de service, le 15 juillet 1996, adressée aussi au lieutenant-général Leach, critiquant sévèrement le Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne. Dans la plainte qu'il a déposée à mon Bureau, le capitaine Poulin prétend que le lieutenant-général Leach n'a rien fait et n'a même pas commandé d'enquête sur ces allégations.
 

Le 17 juin 1998, le lieutenant-général Leach, chef d'état-major de la Force terrestre, a donné une conférence de presse. Au cours de la conférence, le colonel à la retraite Michel Drapeau, alors journaliste, a demandé au lieutenant-général Leach s'il avait des commentaires à faire sur une note de service que lui et Scott Taylor de la revue Esprit de corps avaient fait circuler parmi les représentants des médias, pendant la conférence de presse. Cette note de service qui était datée du 9 juillet 1996, contenait des allégations de comportement inapproprié, de nature sexuelle, de la part du colonel Serge Labbé envers une serveuse du mess des officiers, alors qu'il commandait le Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne, à Kingston en Ontario. Cette note de service avait été adressée au lieutenant-général Leach qui, à l'époque, était le commandant adjoint des Forces terrestres avec le grade de major-général.
 

En juin 1998, le capitaine Poulin était officier des Affaires publiques, affecté au Bureau de liaison avec les médias au Quartier général de la Défense nationale. En 1996, le capitaine Poulin était rédacteur de discours pour l'ancien commandant des Forces terrestres, le général Maurice Baril qui avait alors le grade de lieutenant-général et qui est aujourd'hui le chef d'état-major de la Défense. Au début de 1996, le capitaine Poulin avait été étudiant au Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne alors commandé par le colonel Labbé.
 

À la suite de la conférence de presse du 17 juin 1998, une première enquête avait été ordonnée pour examiner les allégations faites contre le colonel Labbé, puis une deuxième enquête pour examiner s'il fallait ou non porter des accusations contre le lieutenant-général Leach, pour défaut de réponse et d'action à la suite de la note de service du 9 juillet 1996. Ces enquêtes avaient été menées par les enquêteurs de la Police militaire du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, Région centrale.
 

L'enquête du Service national des enquêtes des Forces canadiennes avait conclu que les allégations d'inconduite de nature sexuelle, contre le colonel Labbé, ne reposaient sur aucune preuve tangible. L'autre enquête avait conclu qu'il n'y avait pas de preuve suffisante permettant de porter des accusations contre le lieutenant-général Leach pour avoir reçu la note de service et n'avoir rien fait. Le Service national des enquêtes avait cependant recommandé que la question de la prétendue inaction du lieutenant-général Leach, en réponse à la note de service, soit examinée d'un point de vue administratif par la chaîne de commandement. Dans la plainte qu'il a déposée, le capitaine Poulin conteste le caractère adéquat des enquêtes du Service national des enquêtes et le fait que le général Baril, chef d'état-major de la Défense n'avait pas fait procéder à l'étude administrative recommandée ni fait prendre la moindre mesure corrective.
 

À la suite des enquêtes du Service national des enquêtes, un certain nombre d'autorités des Forces canadiennes avaient fait des déclarations aux médias pour leur donner les détails des conclusions des enquêtes. Le capitaine Poulin prétend qu'à l'occasion de ces déclarations, l'ancien directeur des Affaires publiques de la Force terrestre ainsi qu'un ancien porte-parole du Service national des enquêtes avaient tous deux fait de fausses déclarations aux médias à propos du lancement des enquêtes du Service national des enquêtes ainsi que des constatations faites au cours de ces enquêtes.
 

En réponse aux conclusions des enquêtes menées par le Service national des enquêtes, le 18 novembre 1998, le capitaine Poulin avait déposé quatre plaintes pour non-respect des normes professionnelles contre le Grand Prévôt des Forces canadiennes et trois enquêteurs de la Police militaire qui avaient enquêté sur les allégations contre le colonel Labbé et contre le lieutenant-général Leach. Le 30 novembre 1998, le capitaine Poulin déposait une cinquième plainte pour non-respect des normes professionnelles, contre le Grand Prévôt adjoint - Normes professionnelles et le Grand Prévôt des Forces canadiennes. Ces plaintes avaient éventuellement été rejetées comme étant " des plaintes vexatoires ". Le capitaine Poulin a demandé que mon Bureau revoit la façon dont ces plaintes avaient été traitées, dans le cadre de l'enquête générale.
 

Depuis que sa note du 9 juillet 1996 avait été rendue publique en juin 1998, le capitaine Poulin prétend qu'il a été victime d'incidents répétés de harcèlement, à son travail. Il caractérise ces incidents comme des représailles faisant suite à sa note du 9 juillet 1996 et aux déclarations subséquentes qu'il a faites aux médias, sur ses expériences. Il avait aussi fait état, d'une manière détaillée, de ses craintes et de ses expériences ainsi que de ses allégations de représailles, dans un exposé qu'il avait préparé et soumis pour approbation, en réponse à un appel d'offre de présentations pour la conférence des Forces canadiennes sur l'éthique de la Défense, en octobre 1998. Il prétend aussi que des renseignements sur son implication dans un accident de la circulation avaient été divulgués sciemment aux médias pour le discréditer.
 

Les personnes que le capitaine Poulin considère comme responsables des représailles contre lui ainsi que de la façon inadéquate dont ses plaintes ont été traitées au sein des Forces canadiennes représentent 8 des 24 personnes qui font l'objet de la plainte écrite qu'il a déposée à mon Bureau, au commencement de cette enquête. Cette partie de sa plainte comprend des allégations de harcèlement et d'abus d'autorité de la part de : le lieutenant-commander D. LaViolette (ancienne supérieure du capitaine Poulin et ancien chef du Bureau de liaison avec les médias); le colonel à la retraite R. Coleman (ancien directeur général par intérim des Affaires publiques); le capitaine(M) Frewer (ancien officier supérieur des relations publiques militaires); le capitaine J. Morissette (commandant adjoint du Bureau de liaison avec les médias); et le capitaine à la retraite A. Pope (collègue du capitaine Poulin au Bureau de liaison avec les médias). Elle comprend aussi des allégations selon lesquelles ses activités et interactions avec les représentants des médias étaient étroitement surveillées et rapportées à sa chaîne de commandement depuis que sa note du 9 juillet 1996 avait été rendue publique. Elle comprend enfin une allégation selon laquelle, à cette époque, le lieutenant-commander E. King aurait préparé une réponse aux médias, sur le contenu de cette fameuse note de service, qui aurait été trompeuse et inexacte et que, il aurait refusé de la modifier, par la suite, lorsque le capitaine le lui aurait demandé. Ce dernier affirme aussi que Mme Maureen Bruyere, la conseillère en matière de harcèlement de son unité, ne lui aurait apporté aucun soutien ni aucune assistance durant toute cette période.
 

Sa plainte comporte aussi des allégations selon lesquelles le major Mackie, qui était devenu son supérieur direct après qu'il eut quitté le Bureau de liaison avec les médias, l'avait fait injustement rayer de son personnel. Le capitaine Poulin prétend que l'action du major Mackie faisait suite à une demande de redressement de grief qu'il avait présentée pour protester contre une évaluation de son rendement que ce dernier avait faite.
 

Le capitaine Poulin explique que, à la suite des traitements qu'il prétend avoir subi, il avait demandé à être muté hors du Bureau de liaison avec les médias, en octobre 1998. Il avait alors été affecté au projet A2k de la direction des Affaires publiques, sous les ordres du major Mackie. En mars 1999, il avait été enlevé du projet A2k et avait été affecté à la section responsable des briefings quotidiens aux médias, sur le Kosovo. Il prétend que ce transfert avait été organisé par le major Mackie, en représailles à la suite d'une demande de redressement de grief qu'il avait présentée pour protester contre une évaluation de son rendement que le major Mackie avait faite.
 

La déclaration que le capitaine Poulin comptait faire à la conférence d'octobre 1998 sur l'éthique de la Défense ne faisait pas référence à tous les individus contre lesquels il portait plainte. Même si son projet de déclaration n'identifiait aucune des personnes qu'il accusait de l'avoir injustement traité, les responsables qui, au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes, étaient responsables de l'organisation de cette conférence avaient décidé qu'à cause de la couverture médiatique considérable et de l'accès aux données organisationnelles identifiant tous les membres des Forces canadiennes travaillant avec le capitaine Poulin, il existait un risque important d'identification facile de ceux et celles contre qui il avait porté plainte.
 

Finalement, le directeur du programme d'éthique des Forces canadiennes et son supérieur immédiat, le Chef - Service d'examen, avaient décidé qu'il aurait été inapproprié de permettre au capitaine Poulin de faire son exposé lors de la conférence car cela lui aurait permis d'utiliser cette dernière comme plateforme pour porter des accusations contre d'autres personnes. Le major-général Penney, Chef - Service d'examen, soutenait pourtant que les allégations contenues dans les notes du capitaine Poulin méritaient une enquête. Il avait donc fait le nécessaire pour qu'une enquête soit faite par une personne de l'extérieur, sur les allégations du capitaine Poulin. Cet enquêteur, M. Maurice Cantin, avait déjà été engagé à contrat, il n'y avait pas longtemps, par les Enquêtes et examens spéciaux, une section du Chef - Service d'examen, pour mener une enquête sans aucun rapport, dans une affaire de harcèlement.
 

Le capitaine Poulin prétend que le colonel Maillet, directeur du programme d'éthique des Forces canadiennes, et le major-général Penney, Chef - Service d'examen, l'avaient injustement empêché de faire son exposé à la conférence et, de plus, il accuse le colonel Maillet d'avoir donné aux médias de fausses raisons pour lesquelles il n'avait pas été inclus dans la liste des orateurs de la conférence. Il prétend aussi que le major Miville Deschênes, qui était analyste principal à la direction du Service d'examen, lui avait donné une fausse information à propos de l'intention d'enquêter sur les allégations contenues dans l'exposé qu'il voulait faire à la conférence et ce, malgré son refus de participer à l'enquête.
 

En dépit de communications nombreuses entre le major-général Penney et le capitaine Poulin, ce dernier a maintenu son refus de participer à l'enquête si celle-ci était menée par un enquêteur sous contrat avec le Chef - Service d'examen. Il était convaincu que l'enquêteur choisi, qui avait une relation contractuelle lucrative avec le Ministère, ne pouvait pas mener une enquête indépendante, objective et sans parti pris. C'est à la suite du refus obstiné du capitaine Poulin de participer à l'enquête malgré tous les efforts entrepris pour le convaincre, que le Chef - Service d'examen nous a approché pour voir s'il était possible que nous entreprenions nous-mêmes cette enquête.
 

Dans sa plainte déposée à mon Bureau, le capitaine Poulin affirme que le major-général Penney a tenté de bloquer ses tentatives de résolution de ses plaintes pour harcèlement et représailles. Il prétend en outre que le major-général Penney a agi de façon inappropriée en recommandant qu'il fasse une demande de redressement de grief pour résoudre ses plaintes, alors qu'il savait que le chef de l'Administration des griefs des Forces canadiennes, le lieutenant-colonel Pellicano était marié à la secrétaire du directeur général des Affaires publiques. En plus de cet apparent conflit d'intérêt, il prétend que le lieutenant-colonel Pellicano risquait de manquer d'objectivité dans la mesure où il était d'un grade inférieur à celui de plusieurs des personnes qui font l'objet de ses allégations.
 

Pour étayer la plainte qu'il a déposée à mon Bureau, le capitaine Poulin a fourni une quantité considérable de documents obtenus par le biais de nombreuses demandes faites dans le cadre des lois sur la protection de la vie privée et d'accès à l'information. Un des documents ainsi obtenus, est une lettre que le lieutenant-colonel A.F. Robertson, anciennement attaché au Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne, avait écrite au colonel Labbé et dans laquelle il assurait ce dernier de son soutien, faisant allusion au capitaine Poulin en termes crus et peu flatteurs et suggérant un motif caché derrière les allégations de ce dernier. Dès que le capitaine Poulin avait pris connaissance de cette correspondance, il avait voulu engager un avocat, payé par l'État, pour poursuivre l'auteur de la lettre. Il s'était fait répondre que son cas ne répondait pas aux critères permettant de se faire représenter aux frais de l'État et que, en guise de solution de remplacement, il serait référé au directeur exécutif de la Gestion des conflits, car la médiation semblait être le moyen le plus approprié de résolution, dans les circonstances.
 

Par la suite, le capitaine Poulin avait essayé de renforcer sa position en tentant d'obtenir une médiation de ses plaintes contre sa chaîne de commandement et le Grand Prévôt des Forces canadiennes. Cela avait entraîné un renvoi au Bureau du chef d'état-major de la Défense pour solliciter la participation du général Baril dans la médiation avec le capitaine Poulin. Ce renvoi avait été reçu par l'ancienne adjointe exécutive du chef d'état-major de la Défense, le brigadier-général Lise Mathieu (alors colonel) qui avait conclu qu'il était prématuré d'impliquer ce dernier à cette étape et que des tentatives devraient d'abord être faites pour résoudre cette affaire à des échelons inférieurs de la chaîne de commandement. Il en avait résulté que la médiation n'était pas allée plus loin. Le capitaine Poulin accuse le brigadier-général Mathieu d'avoir interféré de façon inappropriée dans sa tentative de faire intervenir le chef d'état-major de La Défense et accuse ce dernier d'avoir refusé d'intervenir.
 

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Processus d'enquête

À la suite de réunions préliminaires avec des membres de mon personnel, le capitaine Poulin a eu une première réunion, le 20 septembre 1999, avec le chef enquêteur assigné à son cas. Sa plainte écrite fut présentée comme les volumes deux et trois de quatre. Ces volumes contenaient ses allégations ainsi que la documentation d'appui. Par la suite, à la demande des enquêteurs, le capitaine Poulin a fourni des copies de son journal manuscrit pour la période allant de 1996 à 1999. Un second enquêteur fut assigné au cas, dès le 11 octobre 1999; le capitaine Poulin eut une entrevue enregistrée sur bande audio avec les enquêteurs, le 29 octobre 1999.
 

À cause de l'ampleur de la plainte du capitaine Poulin, il a été décidé de diviser l'enquête en deux phases. La première phase couvrirait ses allégations de harcèlement et de représailles postérieures au 17 juin 1998. La seconde phase couvrirait l'examen des enquêtes menées par le Service national des enquêtes sur les allégations contre le colonel Serge Labbé, contenues dans la note de service du 9 juillet 1996 que le capitaine Poulin avait soi-disant adressée au lieutenant-général Bill Leach.
 

La raison pour laquelle l'enquête a examiné les événements plus récents avant les événements plus anciens est double : premièrement, les allégations du capitaine Poulin sur des représailles postérieures au 17 juin 1998, n'ont jamais été vérifiées, dans aucun autre cadre. Il avait donc été décidé de donner la priorité à cette partie de la plainte, dans la mesure où les événements postérieurs au 17 juin 1998 n'avaient donné lieu à aucune enquête antérieure. Deuxièmement, les allégations sur lesquelles le Service national des enquêtes avait enquêté, ainsi que les plaintes subséquentes portées contre les enquêteurs du Service national des enquêtes et le bureau du Grand Prévôt, ne pouvaient pas être examinées correctement avant que le Service national des enquêtes nous ait fourni la documentation volumineuse qu'il avait étudiée. Cette documentation comprend un nombre considérable de documents, de notes et de rapports sans compter les enregistrements audio et vidéo des premières entrevues du Service national des enquêtes.
 

La plainte du capitaine Poulin contient 95 allégations contre 24 personnes. Ces allégations impliquent plusieurs membres actifs et plusieurs membres retraités des Forces canadiennes ainsi qu'une employée civile du ministère de la Défense nationale. Ces personnes sont des pairs anciens ou actuels du capitaine Poulin, des supérieurs anciens ou actuels de sa chaîne de commandement et enfin des membres de la Police militaire qui ont enquêté sur ses premières allégations contre le colonel Labbé et le lieutenant-général Leach.
 

J'ai relié chaque allégation à la personne contre laquelle elle a été faite et j'ai donné mon évaluation à la suite des constatations faites sur chacune d'elles, ainsi que des recommandations lorsque cela était approprié. Dans certains cas, des allégations ont été traitées ensemble lorsqu'elles étaient de nature similaire ou lorsque la même allégation apparaissait dans plusieurs plaintes contre plusieurs personnes.
 

Chaque fois que c'est pertinent, l'on se réfère au texte exact de l'allégation faite par le capitaine Poulin, dans sa plainte écrite à mon Bureau. Parfois, les allégations font état du non respect de certains articles des règlements et ordonnances royales ou de la Loi sur la Défense nationale. Bien qu'il soit fait référence à ces allégations pour raison de clarté et de rigueur, il est bon de réaffirmer que, conformément à la nature de sa fonction, mon Bureau a conduit son enquête non pas pour déterminer s'il existait suffisamment de preuves pour porter des accusations sous n'importe quelle loi ou règlement, mais plutôt pour déterminer si le plaignant, en l'occurrence le capitaine Poulin, avait été traité de façon équitable, dans cette affaire.
 

Au cours de cette enquête, il y a eu 100 entrevues de 85 personnes. Les entrevues ont été enregistrées sur bandes audio, avec l'assentiment des personnes concernées. Les enregistrements ont ensuite été transcrits sur environ 2300 pages de texte. Avant d'interroger les personnes qui font l'objet des allégations du capitaine Poulin, mes enquêteurs ont fourni à chacune d'elles, une copie des allégations qui les concernent et ont répondu à toutes leurs questions sur le mandat du bureau de l'Ombudsman et sur la confidentialité protégeant les renseignements fournis. Dans un cas au moins, la personne approchée qui avait été redéployée outremer, a refusé qu'on lui envoie une copie des allégations faites contre elle, tant qu'elle était en déploiement. Pour satisfaire à sa demande, mes enquêteurs ne l'ont rencontrée qu'après son retour au Canada et après qu'elle a pu revoir les notes et dossiers relatifs à cette affaire. Dans d'autres cas, avec l'accord des personnes concernées, les enquêteurs ont pu aller les rencontrer et les interroger à leur lieu de redéploiement outremer. Je voudrais d'abord faire quelques commentaires sur le processus d'enquête et sur la coopération que nous avons reçue de la part des membres du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Tout au long de l'enquête, mes enquêteurs ont dû corriger quelques perceptions erronées sur le rôle du Bureau de l'Ombudsman, perçu à tort comme le défenseur du plaignant. Mes enquêteurs ont donc informé toutes les personnes concernées que, en tant que représentants du Bureau de l'Ombudsman, ils étaient tout à fait indépendants et neutres et n'étaient prédisposés ni en faveur du plaignant ni en faveur de quelque autorité du ministère de la Défense nationale/Forces canadiennes.
 

Bien qu'ils aient fait état d'une remarquable coopération de la part de la majorité des membres anciens et actuels du ministère de la Défense nationale/Forces canadiennes, mes enquêteurs ont rencontré plusieurs personnes - sujets ou témoins - extrêmement concernées par l'accessibilité du contenu des entrevues que permettent les mécanismes de protection de la vie privée et d'accès à l'information. Bien que conscientes de leur responsabilité, en vertu des Directives et ordonnances administratives de la Défense 5047-1, en ce qui concerne la fourniture d'information aux représentants de l'Ombudsman, certaines de ces personnes s'y sont conformées avec énormément d'appréhension. Cette appréhension était due à leur crainte que toute information fournie puisse les exposer à de nouvelles plaintes ou à une attention non souhaitée des médias.
 

Le temps nécessaire à un examen complet et approfondi de la plainte du capitaine Poulin a dépassé de beaucoup notre délai normal de réponse de 60 jours. La partie enquête active a duré, à elle seule, plus de 14 mois. Cela est dû à notre souci de précision et d'objectivité dans l'examen d'une plainte aux aspects multiples et impliquant de nombreuses personnes dont beaucoup ont, depuis, été réaffectées ailleurs au Canada et à l'étranger.
 

Il va sans dire qu'un certain nombre de personnes se sont émues devant le temps que nous avons pris pour enquêter sur ces plaintes. Il y a même des personnes qui ont suggéré que comme cette enquête était avant tout administrative et n'était pas faite dans le but de porter des accusations, elle aurait dû être faite dans des délais beaucoup plus courts et que moins d'attention et de temps auraient dû être consacrés à un examen détaillé et approfondi de toutes les preuves. Je ne partage pas cet avis. Bien qu'il ait été évident que toutes les personnes impliquées dans cette enquête étaient pressées de la voir se dérouler et se terminer de la façon la plus complète possible, nous avons aussi reconnu que compte tenu de la gravité des allégations qui étaient faites, il était impératif de ne pas sacrifier la qualité et la rigueur à l'opportunisme. Je suis sensible au stress qu'un tel processus impose aux plaignant, aux personnes qui font l'objet de ces plaintes, ainsi qu'à leur famille.
 

Dès la fin de l'enquête menée par mon Bureau, un rapport préliminaire a été préparé, qui contenait mes premières constatations et recommandations. Le 12 février 2001, toutes les personnes impliquées ont été informées que l'enquête était terminée et que chacune d'entre elles recevrait une copie de la partie du rapport préliminaire la concernant, afin qu'elle puisse faire ses commentaires. Le 5 mars, le chef d'état-major de la Défense et le capitaine Poulin reçurent une copie du rapport intérimaire complet, tandis que chacune des personnes faisant l'objet des plaintes de ce dernier reçut une copie de la partie du rapport portant sur les allégations faites contre elle. Une copie du rapport fut aussi remise au Grand Prévôt des Forces canadiennes, afin qu'elle puisse commenter les parties du rapport traitant des allégations faites contre le Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Toutes les personnes impliquées ont reçu pour instruction de remettre leurs commentaires, sur la partie du rapport les concernant, par écrit à mon Bureau, au plus tard le 19 mars 2001; ce délai fut rallongé, dans certains cas, afin de tenir compte d'exigences opérationnelles; le capitaine Poulin bénéficia aussi de temps supplémentaire en conséquence. Mon Bureau a reçu tous les commentaires au plus tard le 28 mars et a pu les étudier avec soin. Dans certains cas, lorsque c'était approprié, des éclaircissements ont été apportés et d'autres informations ont été ajoutées au rapport. Tous les commentaires écrits figurent dans leur intégralité, à l'annexe VI de ce rapport final.
 

Le capitaine Poulin a, quant à lui, remis ses commentaires le 28 mars 2001; ses commentaires ont été traités de la même manière que tous les autres. À la demande de mon Bureau, il y a ajouté une évaluation de l'impact que cette affaire a eu sur lui, professionnellement et personnellement, ainsi que sur sa famille.
 

Le chef d'état-major de la Défense a accepté certaines des recommandations de mon rapport intérimaire et a pris quelques mesures en conséquence. Il en a accepté d'autres avec certains engagements destinés à en assurer la mise en œuvre. La réaction du chef d'état-major de la Défense à mes recommandations intérimaires, ainsi que quelques autres réactions, figurent dans ce rapport final. Certaines des recommandations ont été modifiées en fonction de ces réactions.
 

L'acceptation des constatations et des recommandations, dépend en partie, de la bonne volonté et de l'ouverture d'esprit du plaignant et du haut commandement des Forces canadiennes ainsi que de leur désir de parvenir à un règlement satisfaisant. J'espère que ce rapport apportera les ingrédients qui permettront de mettre un terme à cette longue affaire.
 

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