Suivi du rapport Quand tombe un soldat

Le 14 octobre 2009

Honorable Peter MacKay, C.P., c.r. député
Ministre de la Défense nationale
et ministre de la porte d’entrée de l’Atlantique
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Major-général George R. Pearkes
101, promenade Colonel By
13e étage, tour nord
Ottawa (Ontario) K1A 0K2

 

Monsieur le Ministre,

En janvier 2005, le Bureau de l’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadienne a publié un rapport spécial intitulé Quand tombe un soldat : Examen de la réaction des FC à la mort accidentelle du caporal-chef Rick Wheeler. L’enquête menée à la suite des plaintes envoyées au Bureau de l’Ombudsman par Mme Christina Wheeler et le Lieutenant-colonel Jay Lapeyre (retraité) portait sur la mort du Caporal-chef Wheeler pendant un exercice d’entraînement à Suffield (Alberta) en 1992. Comme l’incident s’est produit avant le 15 juin 1998, nous avons demandé une autorisation à l’ancien ministre de la Défense nationale, Art Eggleton, pour mener une enquête sur un incident qui était survenu avant la création du Bureau, autorisation que nous avons obtenue.

Notre enquête initiale a conclu qu’il y avait d’importants problèmes sur la manière dont l’enquête sur la mort du Caporal-chef Wheeler avait été menée. Ces problèmes, combinés à l’insensibilité démontrée envers les besoins de la famille, ont fait que la veuve a soupçonné que les Forces canadiennes dissimulaient la vérité sur le décès. C’est pourquoi Mme Christina Wheeler a passé de longues années à essayer de découvrir la vérité et de veiller à ce que les personnes concernées soient tenues responsables. Depuis, elle a été rassurée sur les circonstances du décès par les résultats de notre enquête indépendante, et elle souhaite maintenant que les Forces canadiennes apportent des changements afin que personne d’autre n’ait à vivre ce qu’elle a vécu, en plus de faire face à la mort tragique d’un membre de la famille.

Le rapport spécial comprenait trente-quatre (34) recommandations à l’intention du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Ces recommandations visaient à améliorer le traitement des membres des familles par les Forces canadiennes quand des militaires décèdent pendant leur service militaire. Elles avaient aussi pour objet d’améliorer les enquêtes des Forces canadiennes sur les décès non liés au combat ou sur les blessures graves subies par des membres des Forces canadiennes, afin de s’assurer que les raisons du décès sont comprises le mieux possible et que toutes les personnes concernées par l’enquête sont traitées de façon juste. Dans ce rapport spécial, nous nous sommes engagés à examiner la mise en œuvre de ces recommandations et à présenter un constat des progrès réalisés.

Le Bureau de l’Ombudsman a maintenant terminé l’examen de la mise en œuvre des recommandations initiales. Notre examen indique qu’en raison de nos recommandations, la situation s’est améliorée et en général des progrès ont été réalisés dans de nombreux domaines. Cela dit, je dois quand même signaler que bien que les Forces canadiennes soient d’accord avec la plupart des recommandations, il existe toujours de nombreux domaines où des mesures plus énergiques doivent être mises en œuvre par la chaîne de commandement.

Pendant notre examen, nous avons conclu que la question la plus importante qui demeure en suspens comprend les renseignements donnés ainsi que le soutien et l’aide apportés aux familles des membres des Forces canadiennes décédés. Il est essentiel que les membres des familles reçoivent le plus de renseignements possible, dans les meilleurs délais et de façon régulière, concernant les circonstances entourant le décès des membres des Forces canadiennes. Il est nécessaire que les familles obtiennent des renseignements pertinents pour être capables de faire face au décès d’un être cher et de l’accepter. Malheureusement, les Forces canadiennes ne satisfont pas encore à cette obligation, malgré les recommandations formulées dans le rapport spécial qui visaient à s’assurer que les familles obtiennent un niveau d’attention et d’information approprié. Mon Bureau continue de recevoir des plaintes de membres de familles des militaires qui estiment ne pas avoir été traités de façon juste par les Forces canadiennes parce qu’ils ne reçoivent pas les renseignements demandés en temps opportun ou que leur demande reste sans réponse.

Par exemple, nous avons parlé avec la veuve d’un membre des Forces canadiennes qui est décédé d’une crise cardiaque pendant une activité d’entraînement physique. La veuve du militaire n’a pas participé de quelque façon que ce soit à la Commission d’enquête, et le président de la Commission d’enquête est entré en contact avec elle seulement après que la Commission ait entendu tous les témoins, sauf un, et ce, un peu plus de neuf mois après la mort de son mari. De plus, elle indique qu’il y avait des différences dans l’information qu’elle a reçue et que celles-ci ne lui avaient pas été expliquées. Nous continuerons de surveiller ce cas et de traiter ce dossier.

Le soutien des membres des familles doit aussi continuer après la fin des enquêtes. Malgré nos recommandations, les Forces canadiennes n’ont pas encore élaboré et mis en œuvre une politique nationale pour le soutien aux familles des membres des Forces canadiennes décédés. Même si nous reconnaissons que certains engagements ont été pris à cet égard, nous attendons les mesures concrètes que les familles ont besoin et qu’elles méritent.

Dans le cas des recommandations qui visaient à améliorer les enquêtes sur les décès non liés au combat ou sur les blessures graves subies par des membres des Forces canadiennes, nous sommes heureux des mesures prises pour s’assurer que les membres d’une commission d’enquête ou d’une enquête sommaire obtiennent une formation sur la façon de mener de telles enquêtes. Les Forces canadiennes ont aussi créé le Centre de soutien pour les enquêtes administratives qui offre du soutien, des avis et des conseils à tout le personnel qui prend part aux processus d’une commission d’enquête ou d’une enquête sommaire.

Après avoir reçu le rapport initial, les Forces canadiennes ont avisé notre Bureau qu’elles n’étaient pas d’accord avec la recommandation qui indique que l’on accorde le droit aux membres des familles d’avoir un siège permanent au sein de toute commission d’enquête sur le décès ou sur une blessure grave d’un membre de la famille. Toutefois, nous encourageons fortement la chaîne de commandement à s’assurer que des mesures soient prises afin que les membres de famille aient le droit d’assister à ces enquêtes. J’ai été à même de constater à quel point cette participation peut aider les familles à comprendre et à accepter un événement aussi horrible que la perte tragique d’un être cher.

En plus de la douleur ressentie par Mme Wheeler en raison des informations incomplètes et inexactes des enquêtes, nous avons constaté que deux membres de la chaîne de commandement du Caporal-chef Wheeler avait été lésés par les conclusions de la commission d’enquête. En participant à ce processus, leur réputation a été ternie sans même qu’ils le sachent. Il incombe de veiller à mettre en place une procédure équitable pour toutes les personnes concernées d’une enquête; il s’agit d’un moyen supplémentaire pour s’assurer que l’enquête est rigoureuse. 

Les Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD) sur les commissions d’enquêtes et les enquêtes sommaires ont été modifiées et renferment certaines des mesures importantes recommandées dans le rapport spécial. Toutefois, certaines recommandations n’ont pas encore été mises en œuvre et d’autres n’ont pas été acceptées. La question que doit se poser la chaîne de commandement est la suivante : si le Caporal-chef Wheeler mourrait aujourd’hui dans les mêmes circonstances, peut-elle être certaine que les erreurs qui ont été commises pendant les diverses enquêtes sur sa mort ne se répèteraient pas? 

En résumé, bien que des progrès importants aient été réalisés, les Forces canadiennes n’ont pas encore fait tout ce qu’elles peuvent ou devraient faire pour améliorer les moyens utilisés pour enquêter sur un décès ou sur des blessures graves ou pour s’assurer que les familles des membres des Forces canadiennes décédés soient traitées de façon équitable et avec compassion, comme il se doit. Nous continuerons de traiter ces problèmes au cas par cas, au fur et à mesure qu’ils sont portés à notre attention.

Veuillez prendre note que nous avons l’intention de publier cette lettre à l’expiration du délai de 28 jours à partir de la présente date, conformément à l’alinéa 38(2)b) des Directives ministérielles.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments distingués.

 

Pierre Daigle
Ombudsman

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